HADOPI - Lettre à mon député M. Pierre LEQUILLER

Mise à jour du 11/03/2009 : J’ai reçu ce matin la réponse de mon député. Je l’ai rajoutée en intégralité à la fin de ce billet. Je suis déçu de ne pas l’avoir convaincu. Je ne vois dans sa réponse que l’argumentaire habituel du Ministère de la Culture, avec certains arguments imprécis ou tout simplement faux : par exemple, il n’y a pas de mécanisme similaire à la riposte graduée en Angleterre et aux Etats-Unis, les revenus des labels ont continué à progresser ces dernières années malgré la chute du marché du CD, la CNIL a émis des réserves sur la proportionnalité des sanctions, etc… En tout cas, J’ai hâte de suivre les débats à l’Assemblée Nationale cet après-midi. Cela promet d’être houleux.

On ne le répétera jamais assez : si vous souhaitez exprimer votre opinion sur la loi Hadopi, il n’y a pas plus efficace que d’appeler votre député. Certains députés se plaignent de recevoir trop d’emails anti-Hadopi, ce qui signifie que la protestation prend forme et qu’elle commence à être entendue. Il est important de suivre votre envoi par un appel pour s’assurer que votre email ou lettre a bien été lue. Même si vous pensez que votre député est acquis à la cause Hadopi, écvirez-lui et appelez-le. C’est important car les députés qui voteront pour le projet de loi ne pourront pas dire ensuite Nous ne savions pas, nous n’étions pas informé. Quand viendra l’heure des prochaines élections, nous saurons nous rappeler qui a voté pour ou contre le projet de loi.

Je joins ci-dessous la lettre que j’ai adressé à mon député de la 4ème circonscription des Yvelines. Vous pouvez vous en inspirer et y puiser des références, mais surtout ne la copiez-collez pas. Nous avons chacun des raisons différentes de nous opposer à la loi Hadopi. Il est important que votre député comprenne que vous n’agissez pas comme un robot mais comme un citoyen informé qui a pris conscience des enjeux de ce projet de loi.

L’examen du projet de loi commence demain après-midi (mardi 10 mars) à l’Assemblée Nationale. Il reste peu de temps pour informer votre député !


A l’attention de M. Pierre LEQUILLER
Député de la 4ème circonscription des Yvelines
Envoyé par courrier électronique à
plequiller@assemblee-nationale.fr

Louveciennes, le 28 février 2009

OBJET : Les dangers du projet de loi Création et Internet

Monsieur le député,

Je souhaite vous alerter sur le projet de loi Création et Internet1, qui est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale à partir du 4 mars 2009. Ce projet est présenté par Madame la ministre de la Culture, avec pour objectif de favoriser la diffusion et la protection de la création sur internet.Ce projet de loi est critiqué par la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL2), par des fournisseurs d’accès à Internet (Free3), par des associations de consommateurs (UFC-Que Choisir4), par des ONG internationales (ISOC5, EFF6) et par des dizaines de milliers d’internautes qui, comme moi, écrivent régulièrement sur leur blog à ce sujet.

En réalité :

  1. Ce projet n’a pas tant pour objectif de protéger les artistes (auteurs, compositeurs, interprètes) mais de protéger un modèle économique dépassé, défendu par les majors de l’industrie culturelle - c’est défendre les moines copistes face à Gutenberg !7
  2. Ce projet de loi crée une présomption irréfragable de culpabilité. Il bafoue les droits de la défense en feignant d’ignorer que ces droits, dans les faits, ne pourront jamais être exercés. En pratique, de nombreux internautes seront accusés à tort et ne pourront pas se défendre.
  3. Ce projet de loi instaure une surveillance généralisée des Internautes et la possibilité de filtrer des sites Internet sans passer par une instance judiciaire telle que l’impose la Loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) adoptée en 2004.
  4. Enfin, si ce projet de loi est adopté, il sera déjà obsolète le jour de la publication des décrets d’application. Il existe de nombreuses parades techniques que les internautes ne manqueront pas de mettre en œuvre. En pratique, cette loi ne serait pas plus efficace que la loi DADVSI votée il y a trois ans.

Selon le baromètre du CREDOC8 sur la diffusion des technologies de l’information dans la société française, 37% des internautes ont téléchargé des musiques ou des films en 2007. Sachant qu’il y avait 33 millions d’internautes en décembre 20089, j’estime que c’est au minimum 12 millions d’internautes français qui ont échangé des musiques ou des films sur Internet depuis le début de l’année 2009. Plutôt que de reconnaître ce fait de société, Madame la ministre s’obstine à qualifier de délinquants 12 millions de français, dont il faudrait couper l’accès à Internet.

Il existe plusieurs solutions pour rémunérer les artistes à l’heure d’Internet (la licence globale10 par exemple). Mais les acteurs de l’industrie culturelle refusent d’en débattre car ces solutions menacent leur rôle d’intermédiaire. Je souhaite insister sur ce point : le partage de biens culturels sur Internet n’est pas une menace pour les artistes et les créateurs. Il est une menace pour une forme de distribution de la culture qui est dépassée.

Monsieur le député, si je vous écris aujourd’hui, c’est pour vous demander d’intervenir lors du débat en séance publique. Je souhaiterais que vous interrogiez Madame la ministre de la culture sur les mesures qui permettront de garantir les droits de la défense. Si vous n’obtenez pas de telles garanties, je pense que vous devriez vous opposer au projet de loi.Plus généralement, pour traiter des enjeux du droit d’auteur à l’heure d’Internet, il me semble pertinent de proposer l’organisation d’assises décentralisées du numérique et du droit d’auteur dans tout le pays, ouvertes aux citoyens, afin que le débat ne soit pas confisqué par les lobbies de l’industrie culturelle.

Je vous remercie de m’avoir lu. Si votre emploi du temps le permet, je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourriez avoir sur les points que je soulève dans cette lettre. J’espère vous avoir sensibilisé aux enjeux soulevés par ce projet de loi, en particulier l’importance de maintenir le droit à la présomption d’innocence.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le député, l’expression de ma considération distinguée.

Hervé Le Roy

Références

  1. Projet de loi Création et Internet : Communiqué de presse du Ministère de la Culture
  2. CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) :La CNIL considère que, juridiquement, la base de données que prévoit la loi poserait unproblème de proportionnalité entre l’atteinte à la vie privée (collecte de masse d’adresses IP,coupure de l’accès Internet) et le respect du droit de propriété (la protection des ayant-droits). Voir l’avis CNIL publié dans la Tribune et repris dans cet article: http://www.laquadrature.net/wiki/HADOPI_avis_CNIL
  3. FREE : Selon Xavier Niel, fondateur du fournisseur d’accès FREE, certaines de ses dispositions nousparaissent liberticides. Car ce qui se dessine, en dépit de l’opposition de la Commissionnationale de l’informatique et des libertés, du Conseil d’état et du parlement européen, c’estbel et bien le flicage systématique de nos abonnés. Source: Interview parue dans la revue Capital et reprise dans cet article sur Ecrans.fr
  4. UFC-Que Choisir : L’UFC-Que Choisir demande à la Commission européenne d’empêcher le projet français de« riposte graduée ».
  5. ISOC (Internet Society) : Création & Internet : le BOOMERANG LEGISLATIF (lien cassé)
  6. EFF (Electronic Frountier Foundation) : The Struggles of France’s Three Strikes Law
  7. Sur le corporatisme en général, voir également la Pétition des fabricants de chancelles,texte écrit en 1845 par l’économiste français Frédéric Bastiat (publié dans Sophismeséconomiques). Il y dénonce le protectionnisme et la théorie de la disette des producteurs.
  8. CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie)
    Rapport du CREDOC disponible sur le site de l’ARCEP
  9. MEDIAMETRIE : 33 millions d’internautes en décembre 2008 (lien cassé)
  10. LICENCE GLOBALE : La licence globale est une des propositions les plus pertinentes à l’heure actuelle pourrémunérer les artistes en contre-partie des échanges non commerciaux entre Internautes.Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_globale

Réponse recue le 11 mars 2009 :

Cher Monsieur,

Comme vous le demandiez dans votre message, j’ai bien pris connaissance de votre mail du samedi 28 février dernier et de votre position sur le projet de loi Création-Internet, avant même sa discussion en séance. Tout comme vous, j’accorde une grande importance au respect des droits de la personne, et des garanties qui vont avec. Je réponds maintenant aux deux appels que je n’ai pu prendre hier et aujourd’hui car j’étais retenu en réunion.

Sur ce projet, vous m’accorderez que la création artistique n’est possible que par le soutien et la protection des auteurs : sans eux, pas de contenu à présenter sur scène, à filmer, à écouter, à regarder.

Pour remédier au « piratage » des œuvres culturelles sur Internet, le gouvernement a réuni autour de la table les secteurs de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel et fournisseurs d’accès pour aboutir aux « accords de l’Elysée pour le développement et la protection des œuvres et des programmes culturels sur les nouveaux réseaux » le 23 novembre 2007. Il en a fait un projet de loi complétant la loi DADVSI (relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) qui n’avait pas apporté de solution satisfaisante au piratage et au téléchargement illégal des œuvres de musique, des films etc. en présentant le 18 juin 2008 dernier au Sénat son projet de loi « Création et Internet », qui favorise la diffusion et la protection de la création sur Internet.

En outre, cette culture du piratage est d’abord un obstacle au développement de l’offre légale en France. Elles ne représentent que 6% du chiffre d’affaires de l’industrie musicale, contre 25% aux Etats-Unis. Cette offre légale ne pourra jamais se développer dans des conditions normales si on laisse subsister un piratage massif. Ce projet de loi comporte clairement une logique pédagogique et préventive et apporte ainsi une réponse majeure à ce problème.

Aussi, je vous invite par ailleurs à lire l’article dans le Monde du 14 février, de Luc Besson, réalisateur de film à grands succès pourtant, et dont la maison de production Europacorp. soutient des films indépendants et novateurs, qui prend largement position pour cette initiative, ce projet de loi, car il est une chance de protéger la création. C’est édifiant.

Car dans cette affaire, les labels indépendants pâtissent plus du piratage que les majors. 99 % des entreprises de la musique et 95 % de celles du cinéma sont des PME, de nature plus fragiles par leur taille, plus exposées à la menace du piratage. Elles peuvent se retrouver dans des situations économiques difficiles.

Certes, Internet, que font payer les opérateurs tel Free, que vous citiez, offre un accès facilité et plus33 millions d’internautes en décembre 2008 grand à la culture. Payer cette offre aux auteurs à un prix raisonnable, compétitif, ne modifiera en rien cette richesse culturelle et apparaît justifiée. La situation actuelle est préoccupante, les chiffres sont là : les supports matériels (CD et DVD) se vendent de moins en moins et la rémunération des artistes n’est pas rééquilibrée par Internet puisque les téléchargements illégaux y font loi, et « une véritable économie du piratage » (cf article de Luc Besson) s’y est développée en toute impunité. On assiste à une disparition progressive de la rémunération du travail, et par conséquent, des investissements indispensables à la création et à la diffusion des œuvres. Le système profite à d’autres que les artistes. Et si l’on continue dans ce sens, le système lui-même atteindra ses limites, et il n’y aura plus de contenus culturels nouveaux, Free ne vous offrira rien de plus. Il est d’ailleurs préoccupant que le nombre d’artistes « signés » baisse de 40% par an.

C’est pourquoi, ce projet de loi met au centre de tout la protection des œuvres : ce sont strictement elles qui seront contrôlées. Il prône un « Internet civilisé », qui protège non seulement l’internaute (les mineurs en particulier, des offres illégales de films pornographiques ou violents présentés sous les apparences de films grand public), qui respecte sa vie privée (les méthodes de collecte des données nécessaires pour mettre en œuvre le dispositif de prévention, géré par la Haute Autorité, sont celles qui sont actuellement autorisées par la CNIL ; l’Autorité indépendante saisie par les ayants droit pour violation de leur droit ne communique jamais l’identité de celui qui a téléchargé illégalement à ceux-ci ; cette procédure administrative est une alternative à la procédure judiciaire, c’est-à-dire que le recours au juge est toujours possible), mais qui remette au centre de la protection le droit de propriété et le droit moral des artistes.

Car il y a là un droit de propriété privé, qui est violé impunément, et il est normal que leurs détenteurs voient une juste reconnaissance de leurs droits et une possibilité d’en jouir pleinement comme tout un chacun.

D’autre part, ce projet me semble équilibré car, plutôt que de sanctionner pénalement par trois ans de prison et 300 000 euros d’amende comme la loi actuelle le prévoit (délit de contrefaçon), il considère indispensable la prévention et la riposte graduée, c’est-à-dire une pédagogie plus efficace par divers avertissements qui fassent prendre conscience à l’internaute de la violation de droit d’un auteur, jusqu’à la sanction ultime de suspension de la ligne Internet entre un mois et un an.

Les Etats-Unis et le Royaume Uni se sont inspirés de ces mesures obtenues par les accords de l’Elysée et les résultats sont largement convaincants. Ainsi dans les premiers, il ressort que 70% des internautes cessaient de télécharger à la réception du premier message et 90% à la réception du second Cela a eu un impact très important sur la vidéo qui préfinance et participe à l’amortissement des films.

Sachez que je prends bien compte de votre position et que les droits de chacun (des internautes comme des artistes, créateurs de contenu) me sont chers. Je tiens à notre diversité culturelle, à l’exception culturelle française, à la création artistique et je crois que ce projet de loi est le vrai moyen de les préserver. Je tiens aussi à ce que nos enfants grandissent en ayant conscience de ce qu’ils font, et le téléchargement illégal relève du domaine du vol de propriété privée.

Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Pierre Lequiller

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